PAUL ET CHARLES

Le Docteur Charles Cuvelier, père de Paul Cuvelier, était médecin de campagne à Lens. Il était également mon grand-père, car je suis l’un des neveux de Paul.

Je garde de mon grand-père le souvenir d’un homme très ‘en lui-même’, souvent sombre et d’apparence tourmentée. On pouvait dire de lui ‘qu’il ne riait jamais’. Par contre, j’ai encore dans la tête le son des fous-rires de ma grand-mère.

Mon grand-père avait la réputation d’être un catholique fort croyant. J’appris récemment qu’il n’en fut pas toujours ainsi, et que sa ‘conversion’ résulta de l’observation d’un miracle à Lourdes, vers 1920 [1].

D’après ce que me disait de lui mon père (Raphaël, le frère ainé de Paul) son catholicisme était fort teinté de jansénisme. Il était très préoccupé par les fins dernières, et angoissé à l’idée de ne pas faire partie du petit nombre des élus, appelés à connaître la béatitude éternelle du paradis.

Avant la dernière guerre, il figurait parmi les abonnés au quotidien catholique “Le XXème Siècle”, dont le tirage était limité à 10.000 exemplaires, ce qui n’en faisait pas le journal le plus lu à l’époque. Ce journal incluait un supplément pour enfants (“Le Petit XXème”), qui permit à Paul, enfant, de découvrir (et admirer) les dessins de Hergé.

Il est certain que mes grand-parents favorisèrent la vocation artistique de Paul. En 1945, au sortir de la guerre, ils étaient bien conscients de son talent, mais s’inquiétaient de son avenir. Parmi les amis de la famille, figurait Paul Hennebert, qui était le neveu du directeur du XXème siècle (l’abbé Wallez). Celui-ci organisa une rencontre entre Hergé et le jeune Paul, qui doute encore de ses capacités . En permettant cette rencontre, mon grand-père joua donc un rôle dans l’orientation de Paul vers la Bande Dessinée.

Portrait sur un mur

Les Cuvelier aimaient à se retrouver le dimanche dans la maison familiale à Lens. Il régnait une ambiance particulière. L’art occupait une place prépondérante dans les conversations. Très souvent, on entendait les notes du piano de Stéphane ou de Michel, ou le violon de Jean. Paul était discret. Il lui arrivait quelquefois de dessiner sur un coin de la table, pour illustrer un propos ou caricaturer une personne. Sa présence était cependant forte, grâce aux paysages accrochés dans le salon, ou ce beau portrait peint directement sur un mur, à l’étage (voir illustration). S’il faisait beau, on aimait à se promener à travers la campagne lensoise, tout en devisant joyeusement des prouesses sportives de nos oncles (notamment en ski).

Il parait que mon grand-père joua du violon dans sa jeunesse. Un jour où j’étais seul avec lui, il me fit part de son admiration pour les poèmes de Dante, me demandant si je les connaissais. Je fus étonné de l’entendre évoquer un sujet en dehors de ses préoccupations supposées. Mais il est vrai que Dante a longuement décrit les enfers dans ses oeuvres. Paul fut d’ailleurs marqué par l’illustration qu’en fit Gustave Doré. Je réalisai qu’au fond, je connaissais très peu mon grand-père. 

Chambre de Paul au début des années 80 ©Philippe Biermé

Généralement, il communiquait peu avec ses enfants et petit-enfants. Il était souvent assis devant la télévision. Lorsqu’une femme un peu trop décoletée apparaissait à l’écran, il manifestait son irritation et jetait des regards à la ronde, pour s’assurer que personne n’avait remarqué la dite personne.

Quand j’avais l’occasion de monter à l’étage, j’étais frappé par la présence de gigantesques nus dessinés par Paul sur les murs de sa chambre. Ces nus étaient certes d’une facture académique, mais il en émanait une grande sensualité. Je me suis toujours demandé comment mes grand-parents, si prudes, n’avaient pas émis d’objection à la présence de tels sujets sur leurs murs (voir la photo).

Paul Cuvelier et son père

Un épisode plus tardif me permit de réaliser l’attachement et la reconnaissance que Paul vouait à son père. Lors d’une réunion familiale des années 60, Raphaël avait fortement critiqué mon grand-père. Il lui reprochait d’avoir dû vivre de dures années au collège d’Enghien [2] . La virulence de ses propos fut telle que mon père en avait la voix cassée. Mon grand-père fut fort affecté de ces reproches. Je me souviens de l’avoir vu effondré dans un fauteuil juste après l”attaque’ de mon père. Paul très ennuyé, vint s’assoir à ses côtés, et essaya de lui remonter le moral, par des phrases telles “Au fond, Raphaël et toi, vous cherchez la même chose…”. Ce moment fut capté photographiquement par Amédée.

La famille Cuvelier en 1967. De gauche à droite: Michel, Jean, Amédée, Paul, Louise, Charles, Anne-Marie, Stéphane, Raphael

Mon grand-père eut une influence très positive dans l’épanouissement artistique de Paul. Dans certaines familles, on aurait pu l’obliger à chercher un travail rentable, bien avant son engagement au journal Tintin, à l’âge de 22 ans. Cela aurait pu contrarier sa vocation artistique.

On peut dire que Charles et Paul avaient en commun une tendance monomaniaque : la religion pour l’un, le dessin pour l’autre…

Denis CUVELIER

Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier.

[1] la Crypte Tonique ‘Cahier de Dessin – Paul ‘ revue n°11.
[2] “Un collège épiscopal : Enghien”. Cet article est repris dans un ouvrage édité par la Crypte Tonique ‘Cahier de Dessin – Paul ‘ revue n°11.