Paul et Paul VALERY

Adolescent, je partageais la chambre de Paul située en façade. Elle fait face à l’école communale du village occupée pendant la guerre 40-45 d’abord par les allemands puis par les américains. C’est de la fenêtre de sa chambre que Paul a dessiné les scènes dont il était témoin : jeep, camions « six by six » sur le garde-boue duquel un soldat fait la sieste… C’est aussi de cette même fenêtre qu’il a peint cette belle aquarelle où sous un ciel délavé on aperçoit le chemin qui conduit au hameau de Lens.[1].

Un jour, Paul avait entièrement couvert le mur principal de la chambre de ses dessins placés côte à côte jusqu’au plafond.
Mon lit étant contigu à ce mur, je pouvais, couché, contempler de près ses dessins tandis que Paul à sa table dessinait ou écrivait à Miss Bannet, amie New-Yokaise avec qui il a entretenu pendant des années une correspondance assidue.

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,

Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n’était que vos pas.
(LES PAS)

Je vais, je viens, je glisse, plonge
Je disparais dans un cœur pur !
Fut-il jamais de sein si dur
Qu’on n’y puisse loger un songe ?
Qui que tu sois ne suis-je point
Cette complaisance qui poind
Dans ton âme, lorsqu’elle s’aime ?
Je suis au fond de sa faveur
Cette inimitable saveur
Que tu ne trouves qu’à toi-même.
(EBAUCHE D’UN SERPENT)

Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentrent dans le jeu !
(LE CIMETIERE MARIN)

C’est au lit, dans l’obscurité, que Paul m’a révélé la poésie de Paul Valéry. A mon étonnement, il récitait par cœur de nombreux poèmes de Valéry. Quand les avait-il appris ? C’était pour moi une révélation. Je partageais son admiration même si la signification de ces poèmes m’échappait souvent. Paul tentait de m’éclairer. L’harmonie, la musique, la subtilité des rimes, les évocations poétiques lyriques et même leur coté hermétique mystérieux me séduisaient. Il fallait être initié pour l’apprécier et Paul m’initiait. La mémoire, quand on est adolescent, est réceptive surtout quand elle est sollicitée par un frère ainé habité par l’enthousiasme et qu’on admire. Paul avait énormément d’ascendant sur moi. J’ai voulu comme lui apprendre ces mêmes poèmes.

Quand, jeune homme, je me suis rendu sur la tombe de Paul Valéry à Sète, à cause de ce beau poème qu’est «  le Cimetière Marin » je me disais que c’était grâce à Paul que j’accomplis cette démarche. Je me souviens parmi ces nombreux poèmes quelles strophes, quels vers, Paul  se plaisait à répéter plusieurs fois pour en faire ressortir leur beauté. Ce sont plusieurs centaines de vers que Paul connaissait. Ces poèmes ont pour nom : Palme, Le Cimetière Marin, L’Ebauche d’un Serpent , Cantique des Colonnes, Aurore,  les Vaines Danseuses, l’Abeille, Les Pas,  et aussi certains extraits de La Jeune Parque. Paul dessinait bien, écrivait bien, récitait bien. Je lui suis reconnaissant de tout ce qu’il m’a donné.

Voici, parmi tant d’autres, quelques vers que j’entends encore Paul réciter.

Amédée Cuvelier

Cet article est la propriété de la Fondation Paul Cuvelier

Patience, patience,
Patience dans l’azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mûr.
Viendra l’heureuse surprise :
Une colombe, la brise,
L’ébranlement le plus doux,
Une femme qui s’appuie,
Feront tomber cette pluie
Où l’on se jette à genoux !
(PALME)

La confusion morose
Qui me servait de sommeil,
Se dissipe dès la rose
Apparence du soleil.
Dans mon âme je m’avance,
Tout ailé de confiance :
C’est la première oraison !
A peine sorti des sables,
Je fais des pas admirables
Dans les pas de ma raison.
(AURORE)

Celles qui sont des fleurs de l’ombre sont venues,
Troupe divine et douce errante sous les nues
Qu’effleure ou crée un clin de lune… Les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
(LES VAINES DANSEUSES)

Douces colonnes, aux
Chapeaux garnis de jour
Ornés de vrais oiseaux
Qui marchent sur le tour,
(CANTIQUE DES COLONNES)

[1]

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